Pour décorer la salle du Conseil (aujourd’hui appelée « Salle des Mariages ») du nouvel hôtel de ville, la municipalité fait appel à un artiste local, Emile Flamant. La fresque de grandes dimensions (150 m2) qu’il réalise en 1925 et 1926 évoque la paix et la prospérité retrouvée tout en mettant en scène de nombreux Bohainois. Ce miroir de la « cité des Tisseurs » est un véritable trésor caché du Vermandois.
D’une taille plus grande que la réalité, la plupart des personnages représentés semblent appartenir à la famille de l’artiste ou à son cercle d’amis.
« Prospérité, paix et bonheur… »
Les fresques sont une allégorie représentant le Bohain de l’après-guerre. On y retrouve aisément des symboles de prospérité, de paix (colombes, cornes d’abondance). Une atmosphère de bien-être règne sur l’ensemble. Témoin aussi la phrase sur le bandeau inférieur en lettres dorées qui fait le tour de la salle : « Que votre vie soit heureuse et féconde. Bohain tisse des étoffes merveilleuses comme autrefois en tissaient Damas, Gênes, Mossoul, Arras, les Indes et les Flandres. Prospérité, paix et bonheur à Bohain. Honneur à Bohain. »
L’ensemble se compose de quatre panneaux : un grand face aux fenêtres ; deux collatéraux plus modestes ; enfin, entre chaque fenêtre, des tableaux assez discrets, malheureusement exposés à contre-jour, et qui ne révèlent donc pas leur vraie valeur.
Côté Cheminée
Les deux petits panneaux collatéraux délivrent des messages de paix et de bonheur. Sur le tableau côté cheminée, l’artiste a peint un arbre généalogique présentant les principales dates de l’histoire militaire de Bohain.
De chaque côté de la cheminée, deux scènes présentent l’image de la renaissance de Bohain après la Guerre 14-18. Sur le tableau de gauche, un jeune couple lève son enfant au ciel, symbolisant ainsi la famille reconstituée et la confiance en l’avenir, car n’oublions pas qu’il y avait de nombreuses veuves et orphelins à la fin du conflit.
A droite de la cheminée, le tableau prolonge la scène. En effet, on peut imaginer que les enfants ont grandi. Ils écoutent maintenant attentivement les sages conseils d’un vieillard, sous les yeux admiratifs de leurs parents tout émus devant un tel spectacle. Les personnages de cette scène ont été en partie identifiés. Le vieillard s’appelait Capelle et était connu pour les bons conseils qu’il prodiguait. La petite fille, Raymonde Pointier, née Flamant, est une petite-cousine d’Emile Flamant.
Panneau face à la cheminée
Sur le panneau face à la cheminée, Emile Flamant a voulu représenter comme une « carte postale » de Bohain. A l’arrière-plan, au fond, on distingue une forêt. Plus en avant de ce tableau est représenté l’hôtel de ville reconstruit avec son nouveau beffroi. A droite, l’église en brique ; et au centre, au milieu des fleurs, les toits de l’usine Rodier, une des usines textiles les plus importantes de la ville à l’époque, spécialisée dans les tissus haute nouveauté.
Les personnages postés sur une scène de théâtre symbolisent la paix et le bonheur retrouvés à Bohain. Trois femmes à gauche jettent des fleurs sur la ville. Elles représentent les « Reines des tissages » que l’on élisait lors de la Fête des tisseurs de Bohain.
Enfin, à droite, Flamant a peint non sans humour le maire de l’époque, Paul Challe, celui-là même qui commanda la décoration de la salle. Il est représenté en Apollon, une lyre à la main, chantant Bohain avec les enfants.
Côté fenêtres
Sur les panneaux côté fenêtre, on retrouve à gauche une présentation des membres du Conseil municipal de l’époque, ainsi que les noms des architectes qui ont élaboré l’hôtel de ville : MM. Malgras, Martin et Roux. Puis à droite est retranscrit un extrait du Journal officiel du 28 octobre 1920 attribuant à Bohain la Croix de Guerre pour « ses qualités morales » pendant la Grande Guerre. On peut également distinguer la Croix de Guerre matérialisée sur un coussin avec des dépôts de gerbe. Au-dessous est inscrit « Honneur à Bohain » en lettres dorées.
Ensuite, à droite, Emile Flamant a voulu représenter les armoiries des anciennes corporations de la ville : métiers du fer, de bouche, du tissage, de la confection… l’artiste rappelle encore par ces panneaux le riche passé économique de la ville et peut-être n’a-t-il pas voulu qu’on oublie qu’il y eut d’autres métiers que le textile qui ont participé à la richesse de Bohain.
La grande fresque
Terminons par la plus grande fresque, longue de 14,5 mètres et haute de 4 mètres, qui se découpe en deux scènes anachroniques. En effet, on y voit des personnages du temps passé achetant aux Bohainois des années 1920 de magnifiques tissus.
Dans la partie gauche, des marchands italiens, flamands, indiens et arabes représentent le message du bandeau inférieur : « Bohain tisse des étoffes merveilleuses comme autrefois en tissaient Damas, Gênes, Mossoul, Arras, les Indes et les Flandres ». Les manteaux damassés des Arabes sont ornés de magnifiques calligraphies. La femme en majesté, assise au milieu, était vraisemblablement la sœur du peintre.
Dans la partie droite, le peintre a représenté les différents métiers du textile que l’on pouvait trouver à Bohain : tisseur, dessinateur, ourdisseuse … Le personnage en blouse bleue au milieu de ces dames n’est autre que l’artiste lui-même. Il tient dans ses mains un carton à dessin. Autour de lui, il a peint deux groupes de trois femmes de classes sociales totalement différentes, qui rappellent aussi sans doute la fontaine des « Trois grâces », dont la sculpture est aujourd’hui exposée devant l’hôtel de ville.
Dans le groupe à sa droite, trois femmes d’une classe sociale élevée présentent à la princesse et aux marchands des tissus majestueux, dont l’un est décoré de motifs argentés. La femme blonde porte une robe à carreaux qui descend en dessous du genou, à la mode des années vingt. Le paon à leur pied symbolise la beauté des tissus avec magnifique plumage coloré. Les trois femmes debout, à gauche du peintre sont d’une classe sociale plus modeste et, avec leurs robes aux couleurs plus sombres, représentent la classe laborieuse.
Plus à droite, le vieux couple symbolise le quotidien des tisseurs, l’homme tissant sur son métier tandis que sa femme prépare la matière avec son rouet. Emile Flamant rappelle ici que les gens travaillaient alors jusqu’à un âge avancé. Les mémoires vivantes de Bohain racontent toujours aujourd’hui que les couples de tisseurs à domicile se relayaient à l’époque sans relâche sur le métier à tisser. Dès que le mari allait fumer sur le pas de sa porte, son épouse prenait le relais pour continuer l’ouvrage. Il est vrai que le tissage était souvent la seule source de revenu pour beaucoup de familles bohainoises.
Le vieux Bohainois représenté par Emile Flamant s’appelait Eugène Nambruide (1859-1927). Il était le meilleur ouvrier tisseur de la ville et le deuxième de France. Il représentait souvent la ville dans tous les concours et expositions car il savait tisser à la perfection toutes les matières. Il avait reproché à Emile Flamant de l’avoir représenté avec une chemise blanche alors qu’il ne portait pour travailler que des chemises noires, habit traditionnel des tisseurs…
La vieille femme assise devant un rouet n’est pas sans rappeler « la dévideuse picarde » peinte en 1903 par Henri Matisse à Bohain même. Peut-être Emile Flamant a-t-il voulu rendre hommage à l’autre grand artiste de Bohain.
Quant à l’enfant accoudé au métier à tisser, une navette dans la main, ce « gavroche bohainois » est sans aucun doute un hommage aux enfants qui, autrefois, travaillaient tôt sur les métiers à tisser. Avant la mécanisation des métiers à tisser, ils étaient souvent employés à lancer les navettes qui contiennent le fil de trame (sens largeur) entre les fils de chaîne (sens longueur) pour les entrecroiser. Grâce à l’invention du métier Jacquard, cette opération s’effectuait désormais mécaniquement.
Enfin, à l’arrière-plan, on peut admirer un exemple de tapisserie qu’étaient capables de confectionner les tisseurs bohainois.